Middle East Eye (11 October 2021)

Le Premier ministre du Pakistan, Imran Khan, a appelé ce lundi les États-Unis à « se ressaisir » pour éviter que l’Afghanistan ne redevienne un refuge pour les terroristes.

« Nous traversons un moment critique et les États-Unis doivent se ressaisir ; les Américains sont en état de choc, » a-t-il déclaré dans une interview accordée à Middle East Eye, un site d’information en ligne basé à Londres.

Évoquant le sacrifice de dizaines de milliers de Pakistanais après que le pays a rejoint la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis, Imran Khan a ajouté qu’il était d’un intérêt vital pour le Pakistan que Washington se montre à la hauteur, par crainte de payer un tribut bien plus lourd.

« Les Américains pensaient l’avenir en termes de démocratie, de “nation building” ou de femmes libérées, et, du jour au lendemain, le drapeau taliban a été hissé dans Kaboul. La colère est grande, tout comme le choc et la surprise. À moins que les États-Unis ne prennent les devants, nous craignons que le chaos règne à nouveau en Afghanistan et qu’il se répercute le plus durement chez nous. »

Il estime qu’après deux décennies de conflit, les États-Unis n’ont pas d’autre choix que d’appuyer un gouvernement stable en Afghanistan, aux mains des talibans, car eux seuls sont en mesure de combattre l’État islamique dans la région — et de bloquer les tenants de la ligne dure dans leurs rangs.

Le Premier ministre pakistanais a réitéré son appel à la communauté internationale pour qu’elle s’engage auprès de l’Afghanistan. Tourner le dos au peuple afghan serait un désastre, cela reviendrait à renforcer les extrémistes et à ramener le pays vingt ans en arrière.

Sanctionner les talibans mènerait selon lui à une catastrophe humanitaire en Afghanistan alors que la moitié de la population vit déjà sous le seuil de pauvreté et que 75 % du budget dépend de l’aide internationale.

« Si nous ne faisons rien, je crains que 1989, l’année où les Soviétiques et les Américains sont partis et où plus de 200 000 Afghans sont morts dans le chaos, ne se répète sous nos yeux, » a-t-il déclaré, faisant référence à la guerre civile qui a ravagé le pays après le retrait des troupes soviétiques.

Imran Khan a indiqué à Middle East Eye qu’en 2008, il avait averti Joe Biden, John Kerry et Harry Reid — tous trois sénateurs à l’époque — que la voie militaire ne permettrait pas de sortir du bourbier afghan qu’ils avaient créé. Il n’a pas été écouté.

Deux ans plus tard, le général pakistanais Ashfaq Parvez Kayani, alors chef d’état-major des armées, a fait part du même message au président américain Barack Obama.

« Nous sommes soulagés, parce que nous nous attendions à un bain de sang. Nous avons finalement assisté à un transfert pacifique du pouvoir. En revanche, nous avons eu le sentiment d’être blâmés pour cela. Trois cent mille soldats [de l’armée afghane] ont baissé les armes, nous n’y sommes pour rien. »

À la question de savoir si le gouvernement formé par les talibans était inclusif, Imran Khan a concédé qu’il ne l’était pas, mais il a précisé qu’il s’agissait d’un gouvernement de transition.

Il a déclaré que le Pakistan travaillait avec les États voisins, notamment le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, au vu des importantes minorités ethniques ouzbèkes et tadjikes vivant en Afghanistan, afin d’encourager les talibans à former un gouvernement plus représentatif.

« Ils ont besoin d’un gouvernement inclusif, reflétant la diversité de la société afghane. »

Imran Khan a déclaré qu’il fallait donner du temps aux talibans : « Ils ont fait des promesses et se retrouvent à court d’options. Qu’allons-nous faire d’autre si nous les sanctionnons ? Le meilleur moyen est de les inciter à tenir parole. »

« Si nous les forçons, connaissant leur tempérament, ils résisteront. Ce serait contre-productif. »

Il a expliqué qu’il y avait différents courants au sein du mouvement taliban et un manque de leadership clair sur certaines questions.

Il a déclaré que le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) était composé de 50 groupuscules et qu’il tentait de réconcilier ceux qui se montraient prêts à discuter.

« Nous essayons maintenant de parler avec eux, car nous sommes en position de force. J’ai toujours eu l’intime conviction que tous les insurgés finissent par consentir au dialogue, comme l’IRA [Armée républicaine irlandaise] par exemple, » a-t-il déclaré en faisant référence à l’accord de paix conclu en Irlande du Nord.

Imran Khan a ajouté que le gouvernement taliban à Kaboul avait assuré à Islamabad que le TTP ne serait pas autorisé à lancer des attaques contre le Pakistan depuis le sol afghan.

Il a accusé les services de renseignement indiens d’avoir apporté un appui aux attaques survenues sous l’ancien gouvernement de Kaboul.

« Nous devons maintenant parler à ceux avec qui nous pouvons trouver un terrain d’entente afin de les [persuader] de rendre leurs armes et de réintégrer la vie civile. »

Le Premier ministre du Pakistan a condamné l’utilisation répétée de drones par les États-Unis en Afghanistan.

« C’est la façon la plus insensée de lutter contre le terrorisme : attaquer une hutte de terre dans un village avec un drone et s’attendre à ce qu’il n’y ait pas de victimes collatérales. D’autant que bien souvent, les drones ont visé les mauvaises personnes. »

À la question de savoir si le Pakistan autoriserait les États-Unis à lancer des frappes visant l’EI en Afghanistan depuis le Pakistan, Imran Khan a répondu : « Une base ici leur serait inutile, car nous n’avons pas besoin de participer à un nouveau conflit. »

« Aucun pays n’a payé un aussi lourd tribut. Quatre-vingt mille Pakistanais sont morts. L’économie a été durement touchée. Nous avons accusé 150 milliards de dollars de pertes. On a dit que c’était l’endroit le plus dangereux de la planète. Trois millions et demi de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays. »

Imran Khan a estimé qu’il était encore trop tôt pour dire quel effet le retrait américain aurait sur la région.

Il a néanmoins déclaré que la Chine, puissance émergente, était la mieux placée pour combler le vide. Par ailleurs, elle est venue en aide au Pakistan dans les jours les plus sombres de son histoire récente.

« Quel pays nous a prêté main forte, alors que nous étions proches de la banqueroute ? La Chine. On se souvient toujours de ceux qui nous aident à surmonter les moments difficiles. »

Discutant de la situation des droits de l’homme au Jammu-et-Cachemire illégalement occupé par l’Inde (IIOJK), le Premier ministre du Pakistan a déclaré que l’Inde jouissait de la même impunité pour ses tentatives d’altération de l’équilibre démographique du Cachemire que celle dont profite Israël dans les territoires palestiniens occupés.

Il a accusé Narendra Modi de copier la stratégie d’Israël en permettant aux colons d’acquérir des terres dans le territoire contesté.

Qualifiant l’IIOJK de prison à ciel ouvert, il a déclaré que l’Inde violait la Convention de Genève en modifiant la Constitution indienne pour mettre fin à l’autonomie du Cachemire.

Le Premier ministre du Pakistan a estimé que l’Inde n’avait pas rencontré de contestation plus vigoureuse sur la scène internationale dans la mesure où ses alliés occidentaux la considéraient comme un rempart contre la Chine.

Il a ajouté que l’Inde avait également bénéficié d’une relation stratégique et militaire approfondie avec Israël, forgée par la visite de Narendra Modi dans le pays en juillet 2017, suivie par celle du Premier ministre israélien de l’époque, Benyamin Netanyahou, en Inde l’année suivante.

Interrogé sur l’instabilité de la situation actuelle, Imran Khan a répondu : « Si vous observez les points de tension, à l’heure actuelle, le principal point de tension nucléaire est probablement formé par le Pakistan et l’Inde, car c’est le seul endroit où l’on se retrouve avec deux pays dotés de l’arme nucléaire qui ont connu trois guerres avant de l’acquérir. »

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